Au Bénin, les « contrats » aident les journaux à survivre

Article : Au Bénin, les « contrats » aident les journaux à survivre
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22 décembre 2012

Au Bénin, les « contrats » aident les journaux à survivre

Quotidiens béninoisAu Bénin, la plupart des journaux publient des articles rédigés par des commanditaires privés ou publiques. Une situation qui nuit à l’objectivité de la presse, mais est rendue nécessaire par la situation économique de la presse.

               Cotonou, le 15 juillet, 22 heures 20. Ignace Fanou, directeur de publication du quotidien Le Matin, corrige les articles qui sortiront le lendemain. « Celui-là, indique-t-il, je ne peux pas le modifier. Il a été écrit par l’attaché de presse du ministère de l’éducation, avec lequel nous avons un contrat. »

               Ce contrat, en effet, stipule que le journal devra publier, en échange d’une somme forfaitaire, tout article envoyé par le ministère. Et, point important, le contrat ne comporte aucune clause d’exclusivité de la part des partis engagés : « Nous avons aussi des contrats avec NTM [un opérateur téléphonique], la Sobebra [une société produisant de la bière] et plusieurs ministères. », rajoute Ignace Fanou.

Une situation économique difficile

               Le Matin est loin d’être le seul journal béninois concerné. Dans cette ancienne colonie française indépendante depuis 1960, la quasi-totalité des journaux se financent en partie grâce à ces « contrats », que l’on peut négocier auprès des ministères, des entreprises privées, ou même des partis politiques. Ce « commanditaire » verse une somme forfaitaire au journal signataire, qui a alors l’obligation de publier les articles que le commanditaire lui envoie. Et, la plupart du temps, rien ne distingue dans le journal les articles « commandés » de ceux réalisés par la rédaction.

                « Je ne suis pas fier de publier ces publicités qui ne disent pas leur nom, nous explique Brice Ogoubiyi, rédacteur en chef du quotidien Nouvelle Expression. Mais il est impossible pour un journal de s’en sortir sans ces contrats ! »

               C’est que la situation de la presse béninoise n’est pas facile : depuis la démocratisation du pays, en 1991, le nombre de titres s’est multiplié, jusqu’à atteindre 135 aujourd’hui. Or, le Bénin ne compte que 10 millions d’habitants, dont la moitié ne sait pas lire. « Surtout, rajoute Marcel Kpogodo, directeur de publication de l’hebdomadaire Le Mutateur, que peu de Béninois ont l’habitude d’acheter le journal. L’actualité les intéresse, mais ils préfèrent consulter les journaux auxquels leur entreprise est abonnée, plutôt que se les procurer eux-mêmes. »

               Quant à l’aide de l’Etat à la presse, elle est plutôt faible : en 2012, elle atteignait au total 350 millions de francs CFA, soit environ 530 000 euros. « Et les conditions sont draconiennes !, s’emporte Brice Ogoubiyi : dès qu’un journal a un procès ou une condamnation, la part de l’aide qui peut lui être accordée diminue… »

Informations et publicité

               Au niveau de l’éthique, peu de journalistes voient un problème dans ces contrats. « Nous avons signé un contrat, nous le suivons. », avance Ignace Fanou. « Nous les payons pour qu’ils publient ce que nous leur donnons, je ne comprends pas où est le problème. », complète un attaché de presse du ministère du commerce.

               « Les journaux sont des entreprises comme les autres, qui ont besoin d’argent pour exister. », résume Edouard Loko, le vice-président de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (l’organisme public béninois supervisant les médias). Tout en reconnaissant un « souci » : « les articles issus des contrats ne sont pas signalés comme tels, et on ne sait donc pas quand le journal informe et quand il communique. » Et de référer à l’article 9 du Code de déontologie de la presse béninoise, qui précise que « l’information et la publicité doivent être séparées. »

               « Il s’agit d’un contrat commercial qui a un impact sur le contenu éditorial du journal, résume Marcel Kpogodo. Donc, techniquement parlant, il ne s’agit pas de censure, même si cela met directement en cause l’objectivité du journal… » Une objectivité que le Bénin aurait pourtant bien besoin de rendre à ses journaux : classé 53ème par Reporters sans Frontières dans son baromètre de la liberté de la presse en 2007, le pays est descendu à la 91ème place cette année.

Photo : Stanislas Comte

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