Yves Agnès : « Les médias choisissent de ne pas parler des problèmes de déontologie »

Article : Yves Agnès : « Les médias choisissent de ne pas parler des problèmes de déontologie »
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14 octobre 2012

Yves Agnès : « Les médias choisissent de ne pas parler des problèmes de déontologie »

Aujourd’hui, nous publions une interview d’Yves Agnès, ancien journaliste du Monde et président de l’Association de préfiguration d’un conseil de presse (APCP) Il nous explique les difficultés qu’il a à convaincre les journalistes de la nécessité d’un organe de concertation et de régulation de l’activité journalistique.

L’Association de préfiguration d’un conseil de presse, fondée en 2006, travaille à la création d’un Conseil de presse, en France. Composé de journalistes, de spécialistes des médias et de citoyens, cet organe serait un organe de concertation et de régulation de l’activité journalistique. Il pourrait être saisi par tout individu jugeant être victime d’une atteinte à la liberté de la presse ou au droit du public à l’information. Le Conseil étant une association loi 1901, ses avis n’auraient aucune valeur juridique, et vaudraient avant tout par la valeur morale du Conseil.

Bonjour Monsieur Agnès. Pour commencer, pouvez-vous nous expliquer comment l‘idée de fonder l’APCP vous est venue ?

Alors que j’avais terminé ma carrière, mes amis journalistes m’ont dit : « Tu devrais écrire quelque chose sur les dérives de l’information, parce que cela va de mal en pis. » J’ai donc mené une enquête, pendant deux ans, dont j’ai fait un livre, sorti en 2005 : Le grand bazar de l’info : Pour en finir avec le maljournalisme. Comme le constat était accablant, et que je suis plus porté sur l’action que sur la réflexion solitaire, je suis rentré dans deux associations : les Entretiens de l’information, et l’Alliance Internationale de Journalistes. Dans cette deuxième association, j’ai rencontré plusieurs personnes qui disaient : « On ne peut pas continuer à réfléchir sur la responsabilité du journalisme, il faut faire quelques chose. » On a alors décidé, en 2006, de créer une association qui essaierait de sensibiliser les gens à la création d’un Conseil de presse.

Concrètement, quelles actions avez-vous mené pour sensibiliser le public et les professionnel à la nécessité d’un Conseil de la presse ?

D’abord, on a écrit un projet de Conseil de la presse à la française, en prenant en compte des instances existants dans d’autres pays et des particularités de la France (projet disponible ici). Ensuite, pour populariser ce projet, on a beaucoup travaillé à la sensibilisation, en ciblant trois types de public : la profession, la société civile, et les politiques.

En parallèle, on a profité de toutes les tribunes possibles pour s’exprimer, comme les Assises du Journalisme, qui se tiennent tous les ans depuis 2007 ; ou les États généraux de la presse écrite de 2008. En 2009, enfin, on en a créé une nous-mêmes, en organisant un colloque à Radio France.

Comment se sont déroulées les relations avec ces trois groupes – les journalistes, la société civile, les politiques ?

Pour ce qui est de la profession, c’est très difficile. On a souvent des réponses comme : « On ne veut pas de conseil de l’ordre. » – alors que ce n’est pas du tout ce qu’on veut. Les journalistes français et les patrons de presse français n’ont pas réussi à comprendre que la liberté d’informer a un corollaire : la responsabilité vis-à-vis du public. Il ne faut pas oublier qu’en France, la profession est née de la politique et de la littérature, c’est-à-dire que l’expression libre, sans retenue, et les invectives se sont ancrées dans les gènes…

Mais, même si c’est très difficile on a fait des progrès. Je pense que c’est dû en grande partie aux Assises du journalisme et aux États généraux de la presse écrite.

En ce qui concerne la société civile, on a eu beaucoup de déconvenues. On a approché les associations de consommateurs, par exemple, et seule la Confédération nationale des associations familiales catholiques a adhéré. Personnellement, j’ai approché l’association des professeurs d’histoire et de géographie, et je n’ai jamais eu de réponse…

Pourtant, ces dernière années, plusieurs associations critiques des médias se sont créées dans la société civile : Acrimed, les Pieds dans le PAF, etc… Il y a une vraie volonté d’améliorer les choses.

Il ne faut pas se leurrer : ces associations ne constituent qu’une poignée de personnes, assez isolées, et qui ne disposent pas de suffisamment de temps pour effectuer une vaste opération de sensibilisation.

Et du côté des politiques ?

Dès 2007, on les tous a approché, et on a eu l’écoute de tous nos interlocuteurs.

Ceux qui sont le plus proche de nos postions sont les Verts, puisqu’ils se retrouvent dans l’aspect action citoyenne. Le Modem, le PS et l’UMP sont assez proches de nous, mais peu interventionnistes : ils sont d’accord pour encourager tout ce qui peut se faire dans le domaine. Le Front de Gauche, lui, est plus éloigné : ses membres veulent un Conseil nationale des médias, la déontologie n’est donc pas leur préoccupation principale. Le Front National, enfin, est plus interventionniste et plus corporatiste, plutôt en faveur d’un ordre national des journalistes.

Aucun politique ne nous a éconduit, chacun est sensible à la question. Pourquoi ? Le débat démocratique en France, la qualité de l’info sont très mauvais. En off, les politiques sont très critiques des médias.

Mais ces problèmes de qualité ou de déontologie du journalisme sont peu traités par les médias. Ainsi, très peu d’entre eux ont abordé la création de l’Observatoire de la déontologie de l’information, il y a deux semaines… Diriez-vous qu’il existe une forme d’autocensure des journalistes par rapport à ces questions ?

Pas une autocensure, une censure ! Les médias choisissent volontairement de ne pas parler de ces problèmes-là, puisqu’ils sont eux-mêmes en cause. La presse a horreur de se flageller. Que de fois, dans les débats, ai-je entendu « surtout, ne nous flagellons pas ! » ? Il y a un déni de réalité : les journalistes sont aveugle, et ils sont dirigés par des paralytiques.

Quelles actions prévoyez-vous pour la suite ?

On est en perpétuelle évolution. Au début, on a privilégié la voie professionnelle, mais on a été très échaudé par les difficultés qu’on a rencontrées. Pour l’instant, on est en réflexion. Personnellement, je suis pour continuer à sensibiliser.

Au début de l’APCP, l’un des membres disait : « Dans trois ans, quand on aura créé le Conseil de presse… » Je lui répondais : « Si, dans cinq ans, on a fait progresser l’idée, on pourra être content. » C’est ce qui s’est passé : on progresse, certains tabous ont été levés, et on devient plus légitime. Aujourd’hui, en 2012, je me dis que je verrai peut-être le conseil de presse avant ma mort. Mais je reste prudent…

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